Comment vous est venue cette idée d'une brigade du goût ?
Benoit Forgeard. L'idée n'est pas vraiment venue. Et pour être tout à fait honnête, ce n'est pas une idée nouvelle. Qui n'a jamais eu envie de faire la loi sur les questions de goût ? Qui n'a jamais eu envie de se constituer partie civile en matière de style ? L'idée, si tant est que c'en soit une, c'est le paradoxe qui consiste à vouloir faire l'ordre dans un domaine qui s'en affranchit parfaitement.
Bertrand Burgalat. La mode est un sujet dont on ne peut pas dire qu’on ne parle pas assez, et c’est justement ce qui était exaltant : comment appréhender un thème aussi rebattu ? Je savais que Benoit saurait l’aborder différemment.
Avez vous, dans vos carrières respectives, déjà souffert de critiques sur vos images d'esthètes, et justement, d'hommes de goût ? Avez vous puisé dans cette "dictature du style" la matière de cet épisode ?
BF. Bertrand a davantage donné que moi dans cette épreuve. Et pourtant, je peux en jurer, j'ai vu cet homme de goût évoluer en jean-savates dans son salon sans rien perdre rien de sa superbe. Le style est surtout affaire de liberté assumée. "Le style", comme le scande fièrement Agathe Bonitzer dans l'émission, "c'est l'art".
Que signifie pour vous le "bon goût" ? Existe-t-il, seulement ?
BF. C'est un sujet extrêmement intéressant, parce que c'est très arbitraire, le bon goût. On a tous un parent, un ami, qui s'est un jour ridiculisé à le rechercher. La seule chose dont je sois certain, c'est que la confiture de fraise a bon goût.
BB. C’est amusant comme le goût affiché devient un marqueur social, on va citer des films ou des disques pour briller et affirmer sa supériorité, quand j’étais petit c’était le Köln Concert de Keith Jarrett. Ce qui est intéressant c’est ce qu’on éprouve vraiment, pas ce qu’on se force à ressentir.
Dans cette émission, encore plus que dans les précédentes, vous faites la part belle aux découvertes musicales, loin des têtes de gondole comme on les voit ailleurs. Comment s'est faite la sélection des groupes ?
BB. Elle se fait dans un souci de complémentarité de styles, de générations et de publics.
BF. Nous avons beaucoup de discussions à ce sujet avec Bertrand. Nous voulons surtout être entourés des musiciens dont on aime le travail. La question, c'est toujours : faut-il des têtes d'affiche ou non ? Au bout du compte, nous marchons à l'instinct. L'important, c'est que nous soyons fiers et heureux des musiciens que nous accueillons dans notre émission. Nous sommes capables d'inviter un groupe sur une démo, comme nous serions capables d'accueillir Céline Dion, pour peu que nos agendas concordent.
Concilier fiction décalée et musique live est un exercice inédit et périlleux. Quelle est la solution en écriture pour faire cohabiter ces deux univers ? N'avez vous pas parfois peur que la musique devienne elle même un élément du décor ?
BB. C’est effectivement un danger. Comme nous masquons délibérément tous les éléments visuels du direct (retours de scène etc) et que la qualité sonore est très élevée puisque nous filmons à Ferber, un fantastique studio d’enregistrement, cela peut faire croire que les musiciens ne jouent pas en direct, alors que les émissions qui surjouent le live utilisent bien souvent des éléments enregistrés.
BF. Il n'y a pas vraiment de solution. Dès le début, nous avons pris le parti de ne pas présenter l'émission et d'installer une aventure en fil rouge. Mais nous expérimentons, sans être certains de trouver la recette. Nous souhaitons faire en sorte qu'aucune émission ne ressemble à la précédente, mais qu'elle laisse un souvenir impérissable au spectateur resté par inadvertance devant son poste de télévision.
Revenons a la mode : comme on dit souvent que le diable est dans les détails, quelle est la chose dont vous êtes le plus fier dans "le Ben et Bertie show" que le spectateur ne verra pas forcément ?
BF. De mon point de vue, c'est probablement la minutie avec laquelle nous installons les musiciens dans le cadre. A coups de millimètres. Pour que chacun d'entre eux soit visible, au sein d'une composition agréable à l'oeil.
BB. Je crois que cette émission est tellement sophistiquée que ça ne se voit pas. Benoit écrit l’histoire et les dialogues avec une minutie, une justesse insensées, toutes les scènes de comédie sont répétées avant le tournage, le texte d’origine est respecté à la virgule. Benoit dessine chaque plan, prévoit à l’avance tous les axes de cadrage et d’éclairage. La post-production de Machine Molle, le travail sur les décors et le son ou un poème de Maurice Lestieux : ce qui peut évoquer un joyeux bric-à-brac loufoque demande de la part de toute l’équipe une implication totale.
Le mystérieux Jean-Loup Jicé qui ponctue cette émission existe-il dans la vraie vie, a la manière de votre clin d'œil a Loulou de la Falaise (aka la fournaise) ? Est-ce un hommage a JCDC qui fait une apparition, ou un gentil croche patte aux faiseurs de tendance sans style, d'Audigier a Jean-Claude Jitrois?
BF. Jean-Loup Jicé n'existait pas, mais il existe désormais. En inventant ce nom, je n'avais pas consciemment en tête JCDC ou Jitrois, mais je réalise que j'ai du faire une synthèse inconsciente. Pourquoi les sonorités Ji et Cé sont-elles souvent associées à la mode ? C'est un mystère que L'Homme à la Chemise de Cuir ne lève pas complétement.
BB. Nous aimons trop les choses difficiles pour pratiquer l’ironie au sujet de personnages aussi sympathiques que Christian Audigier. Quant à Jean-Charles de Castelbajac, il a toute notre estime et notre admiration. Avant de devenir la chanteuse d’A.S Dragon Natacha Lejeune s’était retrouvée en carafe au Maroc. Elle venait de rater l’avion qui devait la ramener à Paris, son billet n’était pas échangeable et elle n’avait plus d’argent. Jean-Claude Jitrois, qui se trouvait dans la file d’attente et ne la connaissait pas, lui a payé un billet de retour. L’élégance.
Pour conclure sur cette fameuse chemise en cuir qui rythme vos péripéties, vaut-il mieux être ringard au pays des snobs ou l'inverse ?
BF. Ringard au pays des snobs est un plaisir plus subtil et à la portée de toutes les bourses.
Interview Thomas Ducres
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